*Dans une Ordonnance officielle, le Conseil d’Etat dit que l’examen de la ‘’Décision’’ du Bureau du Sénat, telle qu’elle a été attaquée par le Sénateur Augustin Matata Ponyo, ne relève pas de sa compétence, même s’il a été saisi en référé-liberté. Elle intéresse plutôt la compétence du juge saisi de fond du litige concerné par l’action judiciaire ainsi déclenchée, qui vérifie la régularité de sa saisine avant de statuer, quant au fond. ‘’En conséquence, le juge des référés dira partiellement fondé le déclinatoire de compétence soulevé par le Sénat et se déclarera incompétent pour connaître cette requête’’, renseigne notamment, cette Ordonnance du Conseil d’Etat publiée hier, mardi 13 juillet 2021, à Kinshasa.
Ainsi, recherché par le Procureur près la Cour Constitutionnelle qui l’aurait auditionné sur le dossier de l’indemnisation des victimes des biens zaïrianisés durant deux jours successifs avant de l’assigner à résidence surveillée et traqué par le Procureur près la Cour de Cassation sur le dossier Bukanga Lonzo, Augustin Matata, Ancien Premier Ministre et aujourd’hui Sénateur dont les immunités ont été levées par le Bureau du Sénat, n’aurait-il d’autre salut que d’aller en procès pour présenter ses moyens de défense et démontrer son innocence devant les juges. Car, depuis hier, même le Conseil d’Etat qui aurait dû lui permettre de résister encore un peu face à tous les réquisitoires, a, finalement, validé la décision du Bureau du Sénat, selon cette Ordonnance qui l’expose, visiblement, aux poursuites judiciaires, conformément à la Constitution et aux lois de la République.
REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO
CONSEIL D’ETAT
SECTION DU CONTENTIEUX
CHAMBRE DU CONSEIL EN REFERE-LIBERTE
En cause : Monsieur Augustin MATATA PONYO MAPON
Demandeur en référé-liberté
Contre :
- Le Sénat de la République Démocratique du Congo
- La République Démocratique du Congo, RDC en sigle, prise en la
personne de la ministre d’Etat, ministre de la Justice et Garde des Sceaux.
Défendeurs en référé-liberté
O R D O N N A N C E
Aux termes de sa requête déposée au greffe du Conseil d’Etat le 07 juillet 2021, le Sénateur Augustin MATATA PONYO MAPON, demandeur en référé-liberté, agissant par l’avocat du barreau de Kinshasa/ Laurent ONYEMBA DJOGANDEKE, porteur d’une procuration spéciale à lui remise le 07 juillet 2021, sollicite du juge des référés, pour violation flagrante et manifeste des traités internationaux ratifiés par la RDC, la Constitution de la RDC, les lois et les droits individuellement garantis, la suspension des effets d’exécution de la décision n° 006/CAB/PDT/SENAT/MBL/HFM/EBD/2021 du 05 juillet 2021 portant autorisation de poursuites et de levées de ses immunités parlementaires.
A l’appui de sa requête, le demandeur déclare avoir été Premier ministre et chef du gouvernement en RDC de 2012 à 2016.
Il soutient qu’alors qu’il ne pouvait aucunement empiéter dans les actes des différents ministères ou des secteurs d’activités au regard d’un décret qui répartissait les prérogatives de chaque ministre au sein de son gouvernement, le Bureau du Sénat devant lequel il a sollicité une remise aux fins d’obtenir les pièces de soutènement de ses arguments en défense face au réquisitoire aux fins d’obtenir l’autorisation de poursuites contre lui n° 1617/RMPI/0003/PG.C.CONST/BM/2021 du 05 juillet 2021 pour un prétendu détournement des deniers publics dans le processus de paiement de l’indemnisation des personnes physiques ou morales, victimes des biens zaïrianisés en 2013, après avoir dressé un procès-verbal de la réunion du bureau du Sénat, a pris la décision par lui incriminée, signée, à cette même date, par le rapporteur et le Président, en considérant sa demande de remise comme sa comparution alors que la plénière du Sénat avait déjà rejeté, à deux reprises pour incompétence, des réquisitoires portant sur les faits similaires, liés à son ancien statut de Premier ministre.
Tout en affirmant la compétence du Conseil d’Etat, le requérant estime que sa requête est recevable et fondée parce qu’elle répond aux prescrits des articles 134 et 283 de la Loi organique n° 16/027 du 15 octobre 2016 portant organisation, compétence et fonctionnement des juridictions de l’ordre administratif.
Explicitant ses allégations, il reproche au Bureau du Sénat la violation des plusieurs dispositions de la Constitution, à savoir les articles 19, 61 point 5, 153 alinéa 3 point 1, 166 alinéa 1er et 107 alinéas 2 et 3.
S’agissant des articles 19, 61 point 5 et 153 alinéa 3 point 1 de la Constitution, il souligne que le Bureau du Sénat, en autorisant les poursuites contre lui, d’une part, l’a soustrait contre son gré de son juge naturel qui est la Cour de cassation, en sa qualité de sénateur et d’autre part, ne lui a pas permis de soutenir ses moyens de défenses par des pièces à conviction.
Quant à l’article 166 alinéa 1er de la Constitution, il allègue qu’il a été violé étant donné que la décision a été prise par le Bureau du Sénat alors qu’en sa qualité d’ex-Premier ministre, c’est le Congrès qui était compétent pour statuer sur le bien-fondé du réquisitoire du Procureur général près la Cour constitutionnel.
Dans le même ordre d’idée de l’incompétence, il indique que le Bureau du Sénat, en statuant comme il a fait dans sa décision attaquée, a attribué une compétence erronée au Procureur général près la Cour constitutionnelle étant donné qu’il poursuit un Premier ministre sous le fondement de l’article 107 de la Constitution alors que cette disposition légale ne concerne que le sénateur ou le député national.
Enfin, il indique que le Bureau du Sénat, en autorisant les poursuites et en levant ses immunités parlementaires, a décidé ultra petita car dans les dispositifs de son réquisitoire, le Procureur général près la Cour constitutionnelle visaient uniquement l’autorisation des poursuites du sénateur Augustin MATATA PONYO MAPON.
Dès lors, il estime que devant de telles irrégularités et violations graves des libertés publiques et fondamentales, il y a urgence que le juge des référés puisse prendre des mesures provisoires et urgentes pour préserver ses droits et intérêts.
A l’audience en chambre du conseil du 12 juillet 2021 à laquelle cette requête a été examinée, le Sénat, par l’entremise des avocats a soulevé, à titre principal, l’incompétence personnelle et matérielle du Conseil d’Etat et l’irrecevabilité de la présente requête.
Concernant l’incompétence, il soutient que conformément aux dispositions des articles 280 et 85 de la Loi organique n° 16/027 du 15 octobre 2016 portant organisation, compétence et fonctionnement des juridictions de l’ordre administratif, seules les décisions des autorités administratives centrales et celles des organismes publics placés sous leurs tutelles sont susceptibles d’annulation devant le Conseil d’Etat.
Il indique que le Bureau du Sénat n’étant ni une autorité administrative centrale, ni un organisme sous tutelle d’une autorité administrative centrale, encore moins un organe national d’un ordre professionnel, sa décision ne peut être soumise au contrôle juridictionnel du Conseil d’Etat.
Quant à l’irrecevabilité, il soutient que la présente requête est irrecevable parce que d’une part, elle n’est pas accompagnée de la copie de l’acte, du règlement ou de la décision administrative attaquée ainsi que de la preuve du dépôt du recours administratif préalable et d’autre part, le requérant n’y a pas joint la requête principale.
Le Conseil d’Etat relève qu’aux termes de l’article 283 de la Loi organique n° 16/027 du 15 octobre 2016 portant organisation, compétence et fonctionnement des juridictions de l’ordre administratif, le juge des référés saisi par une demande en référé-liberté peut ordonner toute mesure nécessaire à la sauvegarde de la liberté lorsqu’une décision administrative porte gravement atteinte et de manière manifestement illégale à une liberté publique et/ou fondamentale.
Dans le cas d’espèce, il résulte des pièces du dossier que la Décision incriminée, en l’occurrence celle n° 006/CAB/PDT/SENAT/MBL/HFM/EBD/2021 du 05 juillet 2021 portant autorisation de poursuites et de levée des immunités parlementaires du sénateur Augustin MATATA PONYO MAPON, signée par le Président du Sénat, avec la contresignature de son Rapporteur, est destinée à ouvrir un procès pénal devant la Cour constitutionnelle. Quoiqu’émanant d’une autorité administrative centrale en vertu de dédoublement fonctionnel, qui fait des membres du Bureau du Sénat à la fois des autorités administratives et gestionnaires de l’Administration du Sénat, de ce point de vue justiciable de par leurs actes du Conseil d’Etat et, d’autre part, autorités politiques comme composante de l’Assemblée plénière du Sénat lorsqu’ils finalisent les actes parlementaires, législatifs ou d’assemblée adoptés par cette dernière et, de ce point de vue, justiciables de la Cour constitutionnelle ; la Décision querellée n’est donc pas, de par sa nature, un acte administratif au sens notamment de l’article 283 de la Loi organique susvisée pour intéresser la compétence du Conseil d’Etat, mais plutôt un acte judiciaire à l’initiative du Bureau du Sénat.
Dès lors, et en tant que tel, la Décision querellée ne relève pas de la compétence du Conseil d’Etat, même saisi en référé-liberté. Il intéresse plutôt la compétence du juge saisi de fond du litige concerné par l’action judiciaire ainsi déclenchée, qui vérifie la régularité de sa saisine avant de statuer quant au fond.
En conséquence, le juge des référés dira partiellement fondé le déclinatoire de compétence soulevé par le Sénat, et se déclarera incompétent pour connaître de la présente requête.
C’EST POURQUOI,
Vu la Constitution de la République Démocratique du Congo telle que modifiée par la loi n° 11/002 du 20 janvier 2011 portant révision de certains articles de la Constitution de la République Démocratique du Congo du 18 février 2006, spécialement en ses articles 107 alinéa 3, 149, 154 et 155 ;
Vu la loi organique n°16/027 du 15 octobre 2016 portant organisation, compétence et fonctionnement des juridictions de l’ordre administratif, spécialement en ses articles 280 et 283 ;
Vu l’ordonnance n° 19/001 du 10 janvier 2019 portant Règlement intérieur du Conseil d’Etat, spécialement en ses articles 3, 25 et 46, alinéa 3 ;
O R D O N N E :
Article 1 : Reçoit le déclinatoire de compétence soulevé par le Senat et le déclare fondé ;
Article 2 : Se déclare incompétent pour connaître de la présente requête ;
Article 3 : La présente ordonnance sort ses effets à la date de sa notification aux parties et sera publiée au Journal officiel de la République Démocratique du Congo, ainsi que dans le bulletin des décisions et publications des juridictions de l’ordre administratif.
Ainsi ordonné et prononcé à l’audience en chambre du conseil en référé-suspension de la section du contentieux du Conseil d’Etat du …. Juillet 2021 à laquelle a siégé Monsieur Emmanuel MAVUNGU MAVUNGU NKONGO, Conseiller à la section du contentieux et juge des référés, avec l’assistance de ………………………, greffier du siège.
Le Juge des référés
Emmanuel MAVUNGU MAVUNGU NKONGO