J’ai entendu parler et croisé pour la première fois In Koli Jean Bofane, ce littérateur estampillé comme « extraordinaire » à l’international, ici au Centre Wallonie Bruxelles de Kinshasa, en 2019, je crois, lorsqu’il était venu animer des ateliers d’écriture dans le cadre de la fête du livre.
Mon attention avait été aussitôt attirée sur lui lorsqu’on l’avait présenté comme étant le « Papa Wemba de la littérature congolaise ». Ainsi voulais-je savoir ce qui justifiait cette embellie qui avait fini par amener le jury de « Makomi » à lui octroyer un prix, sans compter plusieurs autres que celui-ci a reçus à travers le monde, notamment le prix de la « Critique de la Communauté Française de Belgique », le Prix Jean-Muno, le Prix littéraire de la SCAM, le Grand Prix littéraire Afrique noire (ADELF), le Grand Prix du roman métis de la Ville de Saint-Denis à la Réunion, le Prix de l’Algue d’or, le Prix des Bibliothèques de la ville de Bruxelles, le Prix Coup de cœur Transfuge, le Prix de cinq continents de la Francophonie, etc.
J’ai enfin eu la chance de le lire grâce à la bibliothèque du même Centre Wallonie Bruxelles de Kinshasa, qui m’a permis de mettre les grappins sur son tout dernier roman titré » La Fille de Casa « , dont la lecture m’a envoyé valser dans les méandres de Casablanca, la deuxième ville du Royaume Chérifien, où passent des cohortes des migrants venus de l’Afrique subsaharienne, emportant avec eux leurs envies forcenées de traverser le détroit de Gibraltar pour atteindre, même à la nage, s’ils le pouvaient, le Vieux Monde, cet Eldorado pour lequel ils avaient tout abandonné chez eux : familles, amies, connaissances, et biens collectifs ou individuels.
Dans une écriture absolument éthérée, forcément expressive, recourant à la volubilité sarcastique caractéristique du peuple anamongo, dont il tire ses origines, In Koli Jean Bofane met le lecteur en face d’une juxtaposition des contradictions, qui débouchent sur d’anxieuses contrariétés, dans ce royaume de Maroc, qui a pourtant institutionnalisé l’hospitalité, mais qui se bute encore aux contrastes identitaires, parfois xénophobes, voire racistes, qui proviennent de certains relents d’extrémismes, qui regardent en chien de faïence les nouvelles mutations provoquées par l’obligation de coexister dans la durée avec des peuples aux cultures différentes, qui amènent comme ça dans leurs bagages des manies et des manières aux antipodes des certitudes de ses habitants, notamment ceux de certains vieux quartiers de Casablanca, une agglomération pourtant cosmopolite, ou en quête du cosmopolitisme.
La lecture de ce roman exaltant, d’un pragmatisme aux confins de la désinvolture, à la limite de l’indécence, que j’ai résumé en plus ou moins 6000 mots, pour le bonheur des lecteurs de la » Plume Vivante », la Revue francophone de la littérature congolaise, qui a été le commanditaire de cette étude, m’a définitivement allié à cette vérité qui atteste qu’In Koli Jean Bofane s’impose aujourd’hui comme l’un des grands écrivains congolais de notre époque. Ainsi l’affirme un de ses jeunes admirateurs, grâce à ses productions littéraires mirifiques, le monde entier commence à avoir de nouveau un regard bienveillant vis-à-vis des auteurs congolais et de leurs œuvres. C’est le cas de Fiston Mwanza Mujila, par exemple, qu’il a eu à parrainer dans les arcanes du monde littéraire occidental.
Il faut en effet être un vrai crack pour parvenir à imposer son musc dans un monde aussi compétitif et brillantissime que celui des hommes et des femmes des lettres européens, voire américains. Et si notre compatriote est arrivé à captiver l’attention de tous ces censeurs, quelquefois impétueux, qui acclament maintenant avec éclat ses écrits à la sauce congolaise, c’est sûrement parce qu’il a su produire un narratif authentique, original, qui communique aux autres des histoires fantastiques, pourquoi pas fantasmantes.
Par ailleurs, les réflexions reçues d’autres penseurs m’ont permis de prolonger mon exploration de cet écrivain atypique, ainsi que de celle de ses œuvres édifiantes, qui problématisent en fait notre vécu quotidien dans une perspective fictive. En effet, In Koli Jean Bofane a fait le choix de mettre en scène la réalité congolaise à travers ses écrits romanesques, dans une approche cognitive, qui mêle le subjectif à l’objectif, à travers des chiasmes délirants, dans une ironie corrosive et contagieuse.
De plus en plus, On cite les » Mathématiques congolaises », le » Congo Inc. », « La Belle de Casa », et tant d’autres de ses ouvrages, comme des œuvres majeures de la littérature africaine, dont les thématiques caustiques auraient été calquées sur des faits vrais, rendus fictifs par la seule magie de la plume consciente ou vivante de leur exceptionnel auteur.
Depuis que j’ai lu « La fille de Casa » par exemple, il m’arrive souvent de penser avec compassion, joie, amertume, colère, selon les cas, à tous ces personnages mis en lice dans ce roman époustouflant, comme Sese Tshimanga, le brouteur congolais, Itzrak, la flamboyante et insolente déité de Casa, la prévenante Mme Bouzik et sa marmaille, Drame, le maître escroc sénégalais, la belle Majourna, sorcière à ses heures perdues, Daoudi, le commissaire de police à la conscience controversée, comme s’ils étaient existants dans mon milieu ambiant.
Comment circonscrire alors l’expression littéraire de Jean Bofane ?
Là, je suis tenté de m’aligner derrière l’argumentaire d’un jeune confrère, Fabrice Lukamba, pour ne pas le citer, qui a semblé bien avoir cerné les contours de cette problématique.
Pour lui, In Koli Jean Bofane, dénonce tout ce qui paraît fourbe à ses yeux, comme par exemple le rejet des enfants dans la rue par leurs parents, surtout à Kinshasa, où ces derniers n’avaient plus de choix que celui d’investir ladite rue, pour assurer leur survie (c’est le cas de Modogo dans « Congo Inc. »). On observe en outre son appropriation du phénomène « migrant ». Cette fuite éperdue des Africains vers l’ailleurs, comme le dirait Alain Tito Mabiala, exacerbée par le chômage et le mal vivre dans leurs pays respectifs, a en effet donné beaucoup de matières à disserter à l’auteur ici examiné. Et dans cet exercice de funambule, Jean Bofane met un accent particulier sur les diverses exactions que subissent les candidats africains à la migration dans leurs pays d’accueil, ou de transit, comme il l’a pleinement décrit dans « La Belle de Casa « .
D’après toujours le précité, on peut dire en gros que cet auteur prend de plus en plus la posture d’un grand défenseur de l’Afrique, comme l’avaient fait ses illustres devanciers à l’époque de la NEGRITUDE, à la seule petite différence que la préoccupation majeure de ceux-là était la valorisation de l’homme noir, de sa civilisation et de sa culture, tandis que notre actuel justicier veut, lui, d’une Afrique où la paix doit être restaurée, une Afrique de bonheur et d’équité, où le vivre-ensemble serait harmonieux. C’est donc une lutte extrapolitique que mène ce maître de la parole, qui dit avec acharnement son fait à ceux qui s’amusent à déblatérer le destin des autres. Ainsi, à travers un discours éloquent, conséquent, ce redresseur des torts réhabilite les points de vue des hommes de rien, des moins que rien, habituellement traités de marginaux. Et dans son approche, ses intrigues clament tout haut que l’Afrique ne pourrait pas prendre un vrai élan de développement tant qu’on n’a pas pu éradiquer les différents fléaux qui constituent des écueils à son envol, notamment ces perpétuelles situations de guerre imposées à nos populations dans les coins les plus riches et les plus stratégiques du continent noir, comme l’Est de la République démocratique du Congo.
Une tribune de Jean-Paul Brigode ILOPI Bokanga